
Comme le disait Aristote (cela sera bien la seule fois dans ce blog où je cite un philosophe grec plutôt que Goldman), l’être humain est un animal sociable. Certaines affinités se tissent plus facilement que d’autres mais toute relation peut être mise à mal en un clin d’oeil. L’amour le plus pur et l’amitié la plus sincère ne sont rien, si la personne en face de nous est dotée de petites manies qui ne sont pas les nôtres. Nous courons juste droit vers une tragédie digne de Racine. Même si tu es pour la paix dans le monde, bouddhiste, karma-addict, un stylo devient une arme de crime envisageable.
La petite manie est avant tout quelqu’un qui s’acharne. C’est une obstination dure et simple, contre laquelle tu ne peux rien et surtout, que tu ne comprends pas. D’une logique imparable ou peu dérangeante dans l’esprit de la personne en face, cette dernière n’a aucune conscience du potentiel de nuisance de son attitude. Preuve d’un réel manque de souplesse mentale, y renoncer revient à trahir sa famille sur quinze générations ou égorger un chaton. A minima.
La petite manie associe des bruits agaçants et répétitifs qui suivent un rythme aléatoire : les personnes qui raclent leur pot de yaourt, par exemple. A l’infini. Je ne souhaite pas être désagréable mais il s’agit uniquement d’un Yoplait, pas du yaourt des Danaïdes. Si tu es à un gramme près, il aurait peut être mieux valu prévoir un peu plus large pour le déjeuner.
Les quatre couleurs ont été inventés par des sadiques pour leurs semblables, BIC n’étant l’acronyme que de Bruit Infâme Cadencé ou Bonjour Ignoble Casse-pieds. A ceux qui s’amusent en réunion ou dans tout lieu public comprenant d’autres personnes à vos côtés, vous méritez qu’on vous coupe les mains.
Les bruits corporels sont extrêmement repoussants, comme les reniflements. MOUCHEZ-VOUS. Demandez un mouchoir, allez aux toilettes voler du PQ, avalez discrètement votre morve mais arrêtez ce bruit ignoble. En période de covid, vous risquez la lapidation ou le meurtre collectif.
Nous pouvons évoquer également ceux qui sifflent en permanence : certains ont un don et peuvent participer à « J’ai un incroyable talent ». Bruno, doubleur de l’alouette des champs et de la bergeronette des ruisseaux, vous ne le regretterez pas, Mesdames et Messieurs ! Malheureusement, pour plusieurs, ils n’imitent que le chant du moineau en phase terminale. Cela reste crispant.
« Mais pourquoi tu fais ça ?
– Bah, pourquoi pas. Ca te dérange ? »
Comment te dire que si je t’en parle, ce n’est pas pour trouver un sujet de conversation. L’actualité est suffisamment riche en ce moment.
La petite manie revient aussi sans que l’on n’y prenne garde : c’est le tic de langage, d’utiliser le « tu vois » ou « en fait » comme une virgule ou un point. A la fin, plus personne ne prête attention à votre histoire mais préfère compter le nombre de fois où vous prononcez cette petite allocution. Concentre-toi, elle te dit qu’elle s’est fait larguée SALE, ah 25, focus focus elle l’a découvert au lit avec une autre 26, 27…
Après les bruits répétitifs, il y a les problèmes de cohérence visuels. Il faut que tout soit bien empilé, coordonné et par couleur. Lisse. Propre. On te dira « Fais comme chez toi » mais pas trop quand même : ne touche pas à ça, ne déplace pas ceci, j’aimerai à l’avenir que tu fasses attention, les cuillères n’étaient pas parfaitement ajustées les unes aux autres…
Ca va Sheldon ? Tout se passe bien ? Pas d’autres ambitions dans ton existence que de plier des serviettes à 90° un samedi soir ?
Pénétrer dans leur demeure revient à se glisser dans les pages 92-93 du catalogue Ikéa de l’angoisse dont la direction artistique est réalisée par Marie Kondo.
Le problème, avec les petites manies, c’est que certaines personnes tendent au prosélytisme et à la volonté de les démocratiser, d’en faire une règle universelle. Est-ce une volonté de se sentir moins seules ou de lancer une secte cohérente ?
« Ah mais tu devrais faire comme ça, tu vas voir c’est beaucoup plus simple« . Non merci, ça ira. J’ai une vie.
Et si tu refuses d’accepter le bien fondé de leurs habitudes, votre dispute sera plus grave que ton absence à leur mariage ou d’avoir partagé la couche de l’élu.e de leur coeur.
« On ne peut pas discuter avec toi, tu ne comprends pas. On en reparlera plus tard, tu verras que j’avais raison« . Bien sûr et je compte même me mettre à genoux, pour l’occasion. Les fourchettes se rangent la tête en haut dans le bac à couvert du lave vaisselle, tant d’années perdues…
Heureusement, ce prosélytisme ne concerne que ceux qui aiment ranger. Je ne me suis jamais faite solliciter pour laisser mon nez couler à loisir. Dieu merci, l’humanité a encore un peu de décence.
Lorsque la personne devient suprêmement agaçante, au lieu de se lancer dans une discussion qui tournera forcément à l’aigre, je vous recommande de développer votre sadisme. Déplacer sciemment un crayon de couleur dans le pot des stylos billes. Bouger délicatement le vase sur le napperon pour que tout ne soit plus aligné à la perfection. Observer ensuite discrètement la personne ne rien dire, se mordre les joues et remettre l’objet source d’angoisse d’équerre. Oui, c’est stérile. Mais ça soulage.
En revanche, n’oubliez pas que nous sommes la personne pleine de petites manies de quelqu’un.
Des doutes ? Envoyez un SMS groupé et attendez cinq minutes. Si l’on vous répond par la négative, c’est que ce ne sont pas des amis mais des potes ou quelqu’un qui veut vous glisser dans son lit. Ou alors leurs petites manies sont les mêmes que les vôtres et du coup, cela ne les choque pas. A vous de voir.
La mienne, c’est de vérifier les matelas religieusement là où je dors par crainte de l’insecte dont on ne doit pas prononcer le nom et manger les M&M’s deux par deux. Honnête.