
Nous vivons une drôle d’époque. Celle, où une personne incapable d’écrire une phrase sans trois fautes d’orthographe, publie un post Instagram vantant les saveurs d’un yaourt au lait de brebis. Jusqu’ici, pourquoi pas. Petit problème : ce post sera facturé un nombre à trois chiffres minimum, et pouvant aller jusqu’à 6, à une entreprise.
Oui, vous avez bien lu. Les contrats à 35 000€ sont pour les petits joueurs de l’influence.
Petite rétrospective. Auparavant, seuls les médias traditionnels (presse, télévision, radio…) s’exprimaient et détenaient le singulier pouvoir de divulguer l’information, de choisir ce qu’eux (j’entends ici les médias et les politiques, quelques fois) souhaitaient ou non porter à nos oreilles.
Mais, afin que le média perdure (à l’exception de certains comme Le Canard Enchaîné, Causette pendant un temps, ayant fait de leur indépendance leur marque de fabrique), vendre des espaces publicitaires était la clef. Encore aujourd’hui, une double page quadri de Grazia se négocie 37 600€ et un spot publicitaire sur TF1 84 000€. Vertigineux n’est-ce pas, même pour une fourchette haute ? On comprend pourquoi certains annonceurs, majoritairement reliés à l’univers du luxe, sont omniprésents quelque soit le support (papier, web, télé, radio…). La publicité consiste à rendre belles et attractives des marques déjà désirées et inaccessibles pour une grande partie de la population. Le tout par les arrangements les plus vulgaires.
Aujourd’hui, les médias ne sont plus les seuls à attirer les bourses frétillantes des marques.
Grâce à l’avènement d’Internet et des réseaux sociaux, chacun a pu devenir émetteur et se débarrasser de la simple casquette de spectateur. Nous pouvions donc espérer un changement dans le traitement de l’information, des marques et tutti quanti.
Nous avons assisté à l ‘éclairage, pleins phares, de personnalités lambdas comme vous et moi. Leur spécificité et talent : le don de se mettre en scène et la création de contenus de qualité variable.
Mode, beauté, sport, littérature, sex-toys, voyages, santé, cuisine, élevages de chinchillas, tables à trois pieds et j’en oublie : les thématiques, farfelues ou non, sont pléthores. Leurs pseudonymes peuvent être classiques (identité officielle, référence à leur secteur d’activité), poétiques (Classic Beige, Petite Larme de Joie) ou du grand n’importe quoi (Jolie Tchoin Sans MakeUp, J’épouse mes TN).
Des influenceurs.ses. attirent l’attention sur de réelles problématiques, en soutenant des associations par exemple. Elles restent des personnes intègres, peu attirées par l’appât du gain facile. Mais pas toutes. Je m’attellerai ici à la description de ces influenceurs.ses de l’ombre mais rappelle qu’ils ou elles ne sont pas tou.te.s aussi dépourvu.e.s de sens moral et de capacité créative.
L’influenceur.se est l’ami.e « next door », qui nous partage son bon plan. Il.elle nous tutoie, nous appelle « mes beautés« , « mes puces« , « mes amours » et rabâche que sans sa communauté, qui est de loin la meilleure, il.elle n’est rien. Il.elle nous aime et le dit ouvertement, avec des trémolos dans la voix. Il n’y a pas de pudeur et de réserve qui se tiennent dans un univers où la sincérité et la transparence sont les maîtres mots. Il.elle verbalise plus son amour à votre égard, sans vous connaître, que votre moitié qui vous supporte en train de ronfler depuis dix ans de relation.
A l’inverse de toutes ces stars de cinéma, des mannequins, des artistes, l’influenceur.se est la personne à qui l’on souhaite ressembler. Cela nous paraît plus accessible et possible. Comme auparavant, pour la lecture de tous les magasines, la communauté joue sur le syndrome d’appartenance, la peur d’être exclue. On ne se définit plus par les journaux lus mais par les influenceurs suivis. « Attends, tu as vu la dernière story de xxx, ce CLASH énorme ?«
L’influence est aussi un repère de commères. Ils.elles vivent dans le loft, dont ils.elles ont eux-même défini les règles, mais les murs ne sont autre que les écrans de leurs téléphones. Leurs problèmes deviennent les vôtres.
Quand on leur demande leur métier en soirée, ils.elles vous répondront avec sobriété et simplicité « je suis influenceur.se, je fais des posts Instagram, des vidéos YouTube, je traite de thématiques lifestyle, beauté, chinchilla. Trouver l’angle d’un post Instagram, la recherche iconographique, la ligne éditoriale sont de réels enjeux pour moi. Cela me demande beaucoup de temps et pas mal de recherche. » Un rapide coup d’oeil sur leurs réseaux sociaux te confirmera qu’ils.elles ont, pour certain.e.s, autant de talent pour la photographie que toi à six ans, avec ton premier Kodak.
Devenu.e.s un média et une marque à part entière, certains influenceurs.es deviennent de véritables porte manteaux publicitaires et mangent à tous les râteliers. Les entreprises se ruinent en évènement presse, en colis dont la valeur équivaut à minimum cent euros, en stylos dorés pour écrire sur des cartes vernies.
« Bonjour Jolie Tchoin Sans MakeUp, J’espère que tu vas bien depuis notre dernier évènement presse au Ritz de la semaine dernière ! Tu trouveras dans ce colis notre nouveau produit le GazabonKa ainsi que toute notre nouvelle collection. N’hésite pas à nous envoyer un petit mail pour nous dire si tu as tout bien reçu et nous mentionner en story. XoXo. La team Hémoro-ID.«
Sollicité.es à l’extrême, les influenceurs.es se retrouvent noyé.e.s sous des cadeaux qui perdent alors tout intérêt et saveur. Rappelons qu’ils.elles ne sont, comme tout être humain normalement constitué, doté.e.s uniquement de deux yeux, deux oreilles, un estomac. Que peuvent-ils.elles bien faire de cinquante paires de basket, six smartphones, quinze boîtes de thé ? Est-ce que cette surabondance ne flatte pas des egos et provoque, en soit, une certaine lassitude et dédain ? Qu’on me donne l’envie d’avoir envie, chantait Johnny.
Les évènements presse nécessitent l’exploitation de stagiaires, des heures de préparation, des hurlements pour un désistement de dernière minute, des devis démentiels. Chouchouté.e.s et nourri.e.s à titre gracieux, le tapis rouge se déroule pour ces personnalités qui, la moue aux lèvres, prendront négligemment deux trois photos à la va-vite. Un autre monde. Une autre réalité. Leur quotidien n’est que moments exceptionnels mis bout à bout : le réel charme pour un influenceur.se serait-il de rester chez soi devant Netflix avec une Pasta Box, achetée de sa propre volonté ?
Négocier une création de contenu vous coûtera un bras, un rein et les études de Pierre-Paul-Jacques à venir. Sans sourciller, ces influenceurs.es vous donneront un tarif exorbitant pour le commun des mortels et feront potentiellement un « geste » commercial. 500, 1000 ou 2000 euros sont des prix en soit acceptables pour le monde de l’influence. L’entreprise se gargarisera ensuite de reportings, incluant toutes les retombées et un rapide calcul de la media value. Que penser d’un.e infirmièr.e payé.e 1 828 euros brut mensuel en début de carrière ? Une perfusion est moins rentable financièrement qu’un post Instagram.
Certain.e.s influenceurs.es courent aux likes et aux buzzs. Et tous les moyens sont bons. Notons dans le désordre : mettre le feu à un savon, se faire tirer dessus par sa copine, s’asperger le visage avec un spray au poivre… Evidemment, ces personnes sont suivies par des enfants ou adolescents qui s’empresseront de réitérer l’expérience et de la partager auprès de leur communauté respective. Si ton enfant t’insupporte, ne glisse pas du Tabasco dans son coca : installe-lui Instagram.
Le confinement fut l’occasion de prendre conscience que ces personnes, aux rémunérations extravagantes, s’ennuyaient, comme le commun des mortels, prodigieusement. Pas d’évènement presse auquel se rendre. Pas de nouveaux restaurants à découvrir. Pas de code promo à partager car les Français n’ont plus d’argent et la poste fonctionne moins bien. Quatre vidéos de leur home tour commencent à faire beaucoup, même pour la communauté la plus fidèle et assidue. Nous connaissons tous les recoins de ta cuisine, Germaine.
Certain.e.s eurent la décence de partager le travail de certaines associations pendant le confinement. D’autres évoquèrent leur angoisse de ne pas réussir à joindre les deux bouts.
Le glas a-t-il sonné pour la surconsommation valorisée par ces égéries digitales ? Pouvons-nous espérer une réelle création de contenu de qualité et engagée ? Pangolin, je te prie pour.