La fête

« Qui se réjouit de voir venir la fête, est ivre avant le jour » : ce proverbe russe aurait pu résumer l’intégralité de cette chronique. Mais j’apprécie bien trop ce type d’évènements pour me contenter d’une seule phrase de description.

Depuis notre enfance, nous sommes sensibilisé.es à la fête : au départ, elle se restreint à l’environnement familial, au Champomy et une veille exceptionnelle jusqu’à minuit. Nous accompagnons nos parents lors de leurs soirées d’adulte et nous ne comprenons pas vraiment ce qu’il se passe. Nous trempons les lèvres dans le champagne ce qui nous fait à la fois sourire bêtement et nous donne l’impression d’être grands. Grands que nous voyons danser, rire et sourire pendant que nous nous endormons sur les canapés et les chaises.
Ils rajeunissent et cessent d’être, le temps d’une soirée, ces figures d’autorité et de référence. Avec le recul, ils redeviennent des adolescents presque, à se taquiner, chanter « Les lacs du Connemara » et s’étreindre. Leurs masques de parents, d’adultes se fissurent pour laisser éclater une joie sourde et profonde. Palpable, visible, sensorielle. Magique.

Car c’est bien cela tout l’intérêt de la fête : un shot d’émotions, d’énergie, de joie et de gaité. Un rassemblement visant à fédérer un groupe de personnes malgré les années et les différences de caractère, de chemins de vie.
Je ne parle pas ici des fêtes de famille que dépeint Orelsan mais bien des retrouvailles entre ami.es.

Les soirées apparaissent aux débuts de l’adolescence, fin du collège, début lycée. Nous investissons les appartements de nos proches dont les parents, naïfs, sont partis en weekend ou en vacances. Les premières nuits blanches, les premiers « pécho pas pécho en faisant une contre-soirée dans la cuisine » (je ne comprends toujours pas pourquoi cette pièce reste un point de ralliement : la présence d’une fenêtre pour cloper tranquille, vider le frigo en tsum tsum ?), les premières cuites.

Tu ne sais pas boire au début de ta vie de jeune fêtard.e : tu privilégieras les alcools forts, vodka, rhum, de réels tord-boyaux qui te laisseront la tête enfarinée pendant une journée. Mais tu es jeune, ton corps récupère encore assez vite de tes excès festifs et tu ré-embrayeras dès le lendemain.

La différence entre une fête d’adolescents et de jeunes adultes reste le nombre de personnes sur le dance-floor. Quoi que, vu l’ampleur de TikTok et de son succès, les jeunes d’aujourd’hui (ouuuh, ça fait mal) risquent de nous surprendre. A l’approche de la trentaine, tout le monde danse n’importe comment : le ridicule ne tue plus, personne n’est plus vierge donc pas de pression suprême à avoir l’air digne et élégant pour pécho. Puis de toute manière, le premier cheveu blanc est là. Nous avons déjà tout perdu.

On repère tout de même pendant les fêtes la personne ivre qui danse. Elle oscille entre un mix de chagasse perdu.e et de Tonton Daniel, dotée d’un sens du rythme aléatoire… Et danse seule bien évidemment. Il n’y a personne sur la piste mais who cares, Lou Bega passe.

« Sans alcool, la fête est plus folle » : possible. Mais surtout, le risque d’engueulade diminue. Pourquoi les personnes décident de régler leurs différents, vieux de plusieurs années ou non, avec un coup dans le nez ? « Ca va mieux passer » : bah non. Tu lui hurles à moitié dessus alors que l’autre ne demandait rien à personne, trop occupé.e à dragouiller M.
– T’es quand même une belle enflure, quand tu m’as dit ça y a huit ans…
Évidemment, on passe ensuite aux insultes et aux attaques physiques : gifle, coup de poing ou vomi sur la personne concernée.

Dans notre folle jeunesse, nous tenions vaille que vaille jusqu’au lever du jour. A une heure, désormais, nous repérons les petites natures qui baillent à s’en décrocher la mâchoire. Premier signal de « cassez-vous de chez moi » ou « je me tire dans une demi-heure pour l’honneur ».
Quand tu veux mettre fin à une soirée, les solutions restent les mêmes : ne plus prendre la parole, répondre par monosyllabe, bailler, battre des paupières, s’avachir toujours un peu plus dans la chaise ou le fauteuil… Voir s’endormir carrément à table ou sur le canapé. Le sous-entendu (si l’on peut encore parler de sous-entendu) est alors clair : fin de partie, bisous, bonne nuit.

Mais il reste encore et toujours les piles électriques de toute soirée : appelons cette personne B. B. oscille entre le pompette et le ivre mort, déborde d’énergie et passe son temps à te répéter « allez, on continue », « bah alors, vous êtes fatigués ? ». Bah oui, frère, il est cinq heures et on a presque 30 ans.

Certaines personnes de notre entourage sont de réels traquenards : « oh, ne t’inquiète pas, on boit juste une bière ». Elles manigancent en papillonnant des cils pour affaiblir ta méfiance. Tu te pointes, confiant.e à l’idée de t’endormir du sommeil du juste à minuit maximum dans ton lit et très vite, tu comprends que l’on s’est joué.e de toi. La fête débute. Et elle sera sale.
Tu finis par rentrer chez toi en titubant à cinq heures du matin, avec une ardoise de 150 balles non prévue, des tickets de carte bleue plein les poches. Car plus ton taux d’alcoolémie augmente, plus les tarifs te semblent abordables. Plus tu te sens riche et tu payes, payes, payes une Kro infâme à 8 balles sans sourciller.
Tu peux sinon avoir passé une soirée calme, avec quatre personnes à refaire le monde une partie de la nuit.
Dans les deux cas, ton foie n’avait pas posé de RTT et il te le fera chèrement payer le lendemain. Pas de préparation psychologique, ton organisme te récompensera avec une gueule de bois féroce.

Il existe cependant des fêtes sur-côtées, qui, à tout âge, devraient être bannies de nos existences. Je ne compte bien évidemment pas ici les mariages. Je parle des autres. Les clichés. Les ennuyeuses. Les rassemblements annuels.

Commençons par la pire, j’ai nommé le nouvel an. Il y a TOUJOURS trois pénibles qui s’enthousiasment comme jamais pour cette soirée. « Attends, tu ne fais pas le nouvel an ? » Bah pas spécialement, les gens vont tous finir ivres morts. Le fêter dans un bar, au restaurant ou en boîte de nuit, reviendrait à hypothéquer ma grand-mère. Il y aura toujours en plus des gens qui voudront t’embrasser alors que tu refuses de les toucher en temps normal et ils occultent que la nouvelle année n’y changera rien.
« Et à l’année prochaine, oh oh » : à jamais, ouais.

Je demande ensuite la fête de la musique. J’avoue prier régulièrement pour qu’il pleuve ce foutu 21 juin : la météo reste une arme de dissuasion massive, même pour les fêtard.e.s les plus émérites. Des faux BB Brunes avec mèche s’égosillent sur du mauvais rock ou plagient Booba sans faux semblants. Il y en aura toujours quelques uns pour saccager « Wonderwall » d’Oasis, des trémolos dans la voix. Mais bon, cela reste supportable. Le pire, une fois de plus, ce sont les autres. Ceux qui hurlent à côté de toi et te percent les tympans, qui font des commentaires détestables type « ah ouais, il fait la reprise façon Sting » alors que leur compétence en musique ressemble aux miennes en fiscalité…
Quant aux personnes qui décident de pogoter et en profitent pour m’écrabouiller les pieds ou me caler une main aux fesses, je vous hais.
En résumé, trop de bruit, trop d’acouphènes le lendemain, trop de monde et toujours des gens ivres morts agressifs (et trop peu de One Direction).

Je terminerai cette chronique sur les faux nationalistes qui veulent à tout prix sortir le 14 juillet : quel est votre problème ? Sincèrement ? Se regrouper sous la pluie ou au Champ de Mars pour « admirer » les feux d’artifices… Le réseau est saturé et s’extasier type « oh la belle bleue », « oh la belle rouge », ça va bien deux minutes. Qu’on arrête avec les feux d’artifice : c’est chiant. Fermez les yeux et appuyez-vous sur les paupières, le rendu sera le même. En plus silencieux.

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