
J’étais fière d’y avoir échappé depuis mars. Je laissais mes proches me raconter leur expérience et un frisson de dégoût me parcourait la colonne vertébrale. Il y a de ces aventures que l’on ne souhaite pas vivre, où on laisse le soin aux autres d’aller aux casse-pipes : les faciales dans les yeux, les huîtres chaudes gratinées et les tests Covid.
Depuis la fin du confinement, j’ai mené grand train et ai retrouvé les miens autour de bières, cafés, soirées, à Paris… ou ailleurs, grâce à mes deux grandes copines, j’ai nommé, la RATP et la SNCF. Mes parents soufflaient « ah lalala, ce n’est point raisonnable toutes ces sorties » mais la menace de ne plus les voir en souci de prévention tuait les râleries dans l’oeuf.
Car oui, cette épidémie mondiale a tout de même une utilité.
Elle permet d’éviter les gens trop tactiles avec une excuse béton. Plus de bises, plus d’embrassades, plus d’empoignades. Gardez vos mains dans les poches et votre bouche à un mètre, merci.
Le Covid facilite les plans posés à la dernière minute sans que l’on ne vous fasse culpabiliser. « Je suis peut-être cas contact » alors que vous restez les fesses bien plantées dans votre canapé devant « Emily in Paris ». Personne ne vous demandera de vous justifier.
Les salariés découvrent les joies du télé-travail, l’assurance d’éviter physiquement les supérieurs tordus, les conversations de l’enfer devant la machine à café avec les collègues, le métro bondé, les salades Cojean à 10 balles… Bienvenue dans la vie de freelance où vous pouvez même gratter une petite sieste l’après-midi, sans que l’on ne vienne vous embêter.
Enfin, les radins doivent se frotter les mains : quand Noël approchera et qu’ils offriront un paquet de mouchoir en papier, ils pourront rétorquer « ah c’est Covid, la crise, tu sais… »
Mais je m’égare : je sens déjà les haineux et haineuses glapir, agripper leur clavier et préparer leurs meilleures punchlines assassines.
Ma vie sociale parisienne n’était pas l’élément déclencheur de ma transformation en cas contact. Il aura juste fallu d’un weekend à Marseille, passé avec des amis. J’aurai aimé que, pour l’exotisme, ce Covid-19 soit attrapé au détour d’une soirée arrosée dans la cité Phocéenne, dont les bars étaient fermés dès notre arrivée. Classée « ville en alerte maximale », bien avant la capitale, j’avais à priori toutes les chances de revenir contaminée après mon escapade. Cela aurait eu de la gueule et une certaine logique : cas contact après plusieurs nuits d’ivresse, à danser sur les tables et boire dans les pintes de nos voisins, tous forcément covidés car Marseillais.
Et bien, non. Il aura juste fallu qu’un de mes amis, avec qui se déroulait le séjour dans un studio de 34 mètres carrés partagé à trois, fasse un peu trop la fête la semaine passée à Paris et ramène ses miasmes près de la mer.
Je suis donc devenue cas contact. Une appellation bien vague, qui rappelle simultanément un exercice de diction, le bruit d’une mitraillette et une petite soeur pénible du clan Kardashian.
Courageusement, j’ai pris mes responsabilités et ai agi en tant que citoyenne, je l’espère, responsable. Je me suis confinée, sagement. A déposer mon étendoir à linge devant ma porte pour me décourager de sortir, à mettre en parenthèse ma passion marche et à appeler tout Paris pour caler ce dépistage. A prévoir, murée entre mes quatre murs, la fermeture des bars imminente et me dire que, quand mes amis siffleraient une dernière bière dont le prix aurait été fixé à leur bon vouloir, je serais sur mon canapé à siroter mon décaféiné froid. Thug life.
Plus sérieusement, je pense que dans une autre vie, j’ai du tuer des chatons pour être aussi poissarde. Les astres aiment parfois s’aligner de la pire des manières – au moins, ce genre de mésaventures aura le mérite de faire rire mon entourage.
Cette semaine enfermée m’a rappelé à quel point les journées sont d’une longueur infinie dans un studio. Simone ayant passé la feuille à gauche après le premier confinement, je n’avais en plus personne de vivant avec qui bavasser. Je me sentais l’âme d’une octogénaire perchée sur mon balcon à regarder la terrasse du bar en bas de chez moi.
Et puis, vint enfin le jour tant attendu, celui de mon dépistage covid.
Déjà, cela fait un drôle d’effet de voir ces bibendums de plastique vous accueillir. Le Covid n’est pas très eco friendly et l’on se sent un peu bête avec son banal masque en tissu sur la bobine.
J’en ai ri nerveusement.
A Paris, pour une raison obscure, on tablera sur les deux narines. Pourquoi ? Je ne sais. J’imagine que la pollution de la Ville Lumière nous bouche les sinus et abîme nos canaux respiratoires comme ceux d’un cocaïné passionné.
Plus logiquement, j’imagine que l’on veut avoir les tests les plus sûrs possibles pour s’épargner un reconfinement de la capitale et de facto, un effondrement économique du pays.
Dans le sud, bon, foutu pour foutu, on tablera sur une narine. En plus, il n’y a que des vieux là bas, partis se dorer la pilule au soleil pour leur retraite. L’héritage forcera leurs descendants à raquer pour les frais de succession et renflouera ainsi les caisses de l’état. Technique tout cela.
Deux narines donc. On renverse la tête en arrière et l’on attend l’immersion coton-tigesque.
Concernant la sensation, je ne peux être plus claire: c’est comme si un grillon décidait d’élire domicile dans le haut de votre nez. D’y refaire un peu la décoration, d’accrocher deux trois cadres par ci par là et de passer l’aspirateur tant qu’il y est.
Mais j’en suis sortie fière et grandie. Au-delà aujourd’hui de l’achat d’appartement, de l’animal domestique, je me suis sentie une adulte et citoyenne du monde. Face à ce long coton-tige inséré vigoureusement. Mes yeux embués étaient la preuve de ce rite de passage.
Bref, j’ai fait un test Covid.