Les radins

La semaine dernière, je publiais sur la première nuit. Ce dimanche, je m’intéresse aux radins. Après le sexe, voici l’argent. Prochaine étape : la mort. On brise tous les tabous ici, je vous le dis.

Petit éclaircissement, au préalable : je ne jette pas la pierre à ceux qui manquent cruellement d’argent (ou ont manqué) et rament tous les mois pour joindre les deux bouts. Je fustige bien évidemment les autres. Ceux qui en palpent du blé mais préfèrent le laisser moisir dans le grenier, ceux dont le coeur semble se dessécher à l’approche de Noël ou d’un anniversaire car ça sous-entend qu’on dit au revoir à deux billets. Ceux qui se cachent derrière les adjectifs les plus honteux et inappropriés pour les caractériser : « économe ». « Prévoyant ». « Responsable », même de temps en temps.

Tu es économe, prévoyant et responsable quand tu ne claques pas le double de ton salaire en Tsum Tsum Disney, jogging peau de pêche et tongs Prada. Sur quel type de responsabilité on se base lorsque la personne épluche les rayons à la recherche du paquet de pâtes Barilla le moins cher et s’extasie sur son PEL grossissant à vue d’oeil ? Picsou ne brille par sa sympathie et son charisme que dans Mickey Parade.

Nous connaissons tous quelqu’un qui souffre de radinerie. Une pince. Un rat. Un grippe-sou. Un rapiat. Un fesse-mathieu (je ne la connaissais pas celle-ci, elle est pour moi).
Le radin est atteint d’un mal spécifique : mieux nanti que la majorité de la population, il vit cependant dans la crainte de manquer. Un service de couverts en argent dans le placard mais une goutte de sueur à l’idée de débourser huit balles pour un restaurant.

On repère déjà ce vice chez les collègues et l’on sait, du coup, si notre relation dépassera ce stade professionnel. Lorsque l’on organise un pot, ils ne glisseront jamais cinq euros dans la cagnotte mais seront bien les premiers à venir se goinfrer allègrement de chips, de tucs et d’Heineken. Au départ de la super stagiaire qu’ils auront exploité pendant six mois (55 heures vs les 35 heures réglementaires pour toucher 577 euros mensuels), il faudra les relancer minimum 25 fois pour qu’ils daignent faire un Lydia de 10 balles.
« Tu me laisses écrire sur la carte hein ? »
Bah bien sûr, ça serait dommage hein.
« Ah t’as vu, on s’est donné pour ton sac Sézane ! On ne s’est pas moqué de toi hein »
Nous non. Toi oui. Mais brillons par les apparences : un credo.

Le radin c’est celui qui te dit « oui oui ne t’inquiète pas, je te rembourse » et laisse ensuite le dossier se perdre dans les limbes. Il joue sur le plus grand tabou en France : personne n’ose réclamer l’argent dû. Au final, c’est la victime du racket silencieux qui a peur de passer pour proche de ses sous. « Oh ce n’est pas grave, après tout, je n’ose pas demander… ». Un comble.

De mon côté, je suis l’ennemie des radins. J’imagine que cela est dû à ma nature de Scorpion : une passion vérité et franchise m’anime, quitte à ce que ce soit sale. Surtout si c’est sale (j’ai toujours rêvé caler un élément d’astrologie dans une de mes chroniques, c’est désormais chose faite).
Reprenons : je t’avance avec grand plaisir mais si tu me donnes ta parole, tu la tiens. Cochon qui s’en dédie.

Le radin ne te paye jamais ton coup mais une fois qu’il a fini par se décider à t’inviter, tu en entends parler pendant une décennie.
– Tu te souviens du kebab qu’on avait mangé où je t’avais invité ? Il était bon, non ?
– En janvier 2008 ? Oui, très bien.
Il se prend pour un être doté d’une générosité hors norme et s’autocongratule de la beauté de son geste. Mère Theresa offrant une nuit au Ritz alors qu’on est plus sur du Bill Gates donnant un paquet de Lotus.

On reconnaît un radin au fait qu’il semble, ô grand jamais, ressentir de honte, persuadé du bien fondé de sa pensée. La décence voudrait qu’il ait un peu de mal à se regarder dans la glace de temps à autre. Mais non : ce ne sont pas des dents qu’ils ont mais des sabres.

Le pire, c’est lorsque tu t’aperçois qu’un membre de ton entourage souffre de radinerie. Quelqu’un que tu aimes profondément où la nature de la relation est amicale ou amoureuse.
Je crois qu’il n’y a rien de pire : ce moment d’une rare gênance où tu échanges les cadeaux et au moment d’ouvrir les tiens, tu te mords les lèvres pour ne pas demander si c’est une blague.
– Ravissant, cette paire de chaussettes Decathlon. Sinon, le voyage à Budapest te plait ?

Il y a fort longtemps, j’ai côtoyé quelqu’un qui possédait des crabes mutants dans les poches de ses jeans et des méduses radioactives dans son portefeuille. Je me souviens d’un échange particulier :
– Tu vas souvent au restaurant. Tu voyages beaucoup. Tu devrais peut-être économiser et ralentir le rythme.
– Si je meurs demain, à quoi me servira cet argent amassé sur mon PEL ? Je me fais un linceul de billets verts ? Ca risque de gratter.

Ces personnages sont bien évidemment radins sur leurs pépettes mais beaucoup plus laxistes lorsqu’il s’agit de celles des autres. Ils répondent rarement aux propositions de pots communs mais lorsque le ciel leur tombe sur la tête (très souvent, il s’agit de cagnottes les concernant indirectement), ils n’hésiteront pas à te relancer et à fixer eux même le premier prix de participation.

Leurs masques tombent en soirée ou autres retrouvailles : lorsqu’ils sont convives, ils se pointent la bouche en coeur avec une bouteille de pelure d’oignon et un paquet de chips Leader Price. Ils arrivent avec une bouteille, repartent avec deux.
Quand ils se décident à organiser, leur liste de doléance a presque été écrite par Beyoncé herself : champagne, mousseux, blanc, bouffe en tout genre… Tu arrives et tu te rends compte avec sidération que sur leur table se battent trois battons de carotte en duel avec une bouteille de coca-cola. Ils comptent sur les restes pour s’épargner les courses de la semaine à venir.

Lorsque le Covid n’avait pas décidé de nous briser les ovaires hachés menus, il m’arrivait de faire des dates dans des bars (dit comme cela, ça fait presque roman de science-fiction, quelle tristesse). Je n’ai parfois pas de logique dans mes élans amoureux (« oh coucou, tu sembles totalement immature et impulsif, une petite addiction aux substances illicites, tombons follement amoureuse » vs « je n’aime pas du tout son rire, tu es trop gentil, trop doux, trop calme, fuyons donc au diable vauvert mon enfant ! »). Mais s’il y a bien une chose sur laquelle je reste intransigeante, c’est bien la radinerie.
Si je perçois un côté trop près de ses sous, un manque d’élan dans les plaisirs simples, je n’hésite pas à plier bagage.

Car oui, posons-nous ces simples questions : cette radinerie ne s’appliquera-t-elle pas sur tous les autres aspects de la vie ? Une pingrerie émotionnelle, une difficulté à aimer pleinement et sincèrement sans un tiroir caisse près du coeur ? Une avarice dans la capacité à vivre pleinement son existence ? Comment apprécier la beauté de la vie lorsque tout est comptabilisé et rationné ?

Je vous laisse méditer et partager cet article aux radins de votre connaissance.

3 commentaires sur “Les radins

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