La vie d’avant

« Mais si, tu te souviens… Avant. »

Cette phrase, prononcée par un proche, nous fit à tous l’effet d’une forte gifle, celle qu’on ne voit pas venir mais qui réveille. Proche masqué dont l’on ne percevait plus le bas du visage mais où les yeux, eux, bien visibles et un poil trop brillants, ne trompaient pas.

Mais oui, tu te souviens, la vie d’avant. Cette vie d’il y a à peine un an, où les choses qui nous semblaient les plus simples, banales, accessibles, nous furent reprises en un battement de cils. Où nous les faisions sans prendre conscience de l’impact et de l’importance qu’elles avaient dans nos vies, dans notre quotidien. Qui contribuaient à notre bien être sans que l’on ne s’en rende compte. Disons-le.

Nous nous sentons à chaque fois bien bête de nous plaindre mais nous ne pouvons éviter en permanence cette tristesse, ce nuage cris cotonneux de blues qui nous emprisonne. La vie d’avant n’est plus et la nostalgie étreint notre coeur, délicatement.

La vie d’avant. Mais qu’était-ce donc ?

Voyager, prendre un avion ou un train sur un coup de tête, se perdre dans les villes au gré de nos pas et revenir la valise chargée de magnets kitschissimes à apposer sur notre frigo.
Ne pas faire demi-tour dès que l’on part de chez soi car on a oublié son masque, en lâchant un « Putaaaain » d’énervement, éviter une acné sévère au niveau des maxillaires à cause du frottement tissu-peau.
Serrer les gens dans nos bras, en faisant fi des gestes barrières et leur apposer une bise féroce sur les deux joues. Car oui, même la bise vient à manquer.
Mettre du rouge à lèvres que l’on voit vite et de loin sans qu’il soit dissimulé derrière un masque.
Partir boire un verre en terrasse et rentrer à des heures indues, la bourse plus légère mais l’esprit plus apaisé et riche d’idées, d’émotions qu’à notre arrivée au bar.
Ne pas avoir peur dès que l’on commence à tousser et lister frénétiquement les personnes que l’on a vues les derniers jours, de crainte de les contaminer et de provoquer la venue de la Faucheuse un peu trop tôt.
Rentrer directement dans un magasin sans faire la queue et ne pas s’asperger religieusement les mains de gel hydroalcoolique.
Aller au restaurant, s’échanger les plats, goûter et s’émerveiller devant des saveurs inattendues, embêter les serveurs, piquer deux ou trois idées de recettes, écrire sur les nappes en papier.
Se promener et sentir le vent sur l’intégralité de son visage, le soleil nous bercer de ses rayons sur nos joues.
Aller au théâtre, au cabaret, au cinéma, au musée, débattre des spectacles et des oeuvres vus auprès de son entourage, les y emmener, les enguirlander car ils ne comprennent pas la beauté des choses, les bouder un chouïa, aller à un vernissage avec eux et s’horrifier devant la laideur des sculptures exposées qu’ils trouvent sublimes. Se brouiller et recommencer. Inlassablement.
Continuer d’hurler et de danser à des concerts ou des festivals, où les acouphènes vibrent dans le creux de nos oreilles malgré les boules quiès enfoncés jusqu’au tympan.
Aller à des cours de danse, rentabiliser ces derniers en dansant sur les tables des bars passés trois heures et en hurlant « j’ai plus d’énergie qu’un Barracudaaa ». Finir en boîte de nuit et s’endormir sur les canapés de cuir.
Ne pas avoir peur d’oublier son attestation ou que le téléphone et ses 10% de batterie ne tiennent pas jusqu’à chez soi : on ne croise jamais de contrôle mais avec notre veine, cela finirait bien par arriver à ce moment précis.
Anticiper et prévoir son existence sans dépendre des choix gouvernementaux et des variants du COVID.
Faire ses courses et son jogging après18h, sans sombrer dans l’illégalité la plus crasse et incompréhensible.
Sortir lorsque bon nous chantait.

Nous étions libres et nous ne le savions même pas.

Liberté, insouciance, légèreté. Apposons n’importe lequel de ces noms sur ce que fut notre passé, peut être même les trois, soyons fous. Mais souhaitons, du plus profond de nos êtres, qu’il ne s’agit pas d’une ère révolue, d’un temps que nous raconterons à nos futurs petits enfants, des trémolos dans la voix. Qu’il ne s’agit que d’une pause pour une prise de conscience réelle et menant ensuite à de grandes choses.

Car oui, la situation n’enlèvera pas l’espoir. L’espoir que nos gouvernements cessent ces expérimentations ignobles, l’espoir que nous serons tous de plus en plus solidaires, l’espoir que les beaux jours sont encore devant nous.

De toutes les émotions que provoquent cette pandémie, si nous ne devions n’en conserver qu’une, gardons celle-ci. L’espoir est celui qui nous permet tour à tour d’aller loin ou de se casser le coin du bec sèchement. Et même dans ce dernier cas de figure, c’est lui qui nous aide à nous relever.

De mon côté, je me suis donc achetée un rouge à lèvres. Un vif, un pétant, un gai, un flamboyant que j’arborerai joyeusement lorsque nos masques tomberont. Je parle de ceux en tissu car cette situation si particulière nous aide déjà à faire tomber les autres.

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