Je suis angoissée

Je suis votre proche pénible. Celle qui a toujours 8 000 idées par minutes mais où celles-ci peuvent être tour à tour positives et originales comme franchement déprimantes et illogiques.
Une mauvaise nuit de sommeil, le syndrome pré-menstruel et très vite, mes neurones s’emballent. Mon entourage s’y est habitué et ils me regardent désormais, mi-attendris, mi-agacés. Je suis leur cocker, diablement touchante et fatiguante, à pisser partout lorsque l’on bouscule son quotidien et qui jappe à la mort devant une porte fermée.

La force de l’angoisse est de partir d’un détail insignifiant, minime, d’y apposer une projection négative et de laisser libre court à votre imagination. En moins de temps qu’il ne faut pour me l’écrire, ce « non » un peu sec de la boulangère peut se transformer en drame. Tout scénario devient plausible et l’on se retrouve à vivre réellement cette projection au point de s’en faire transpirer, accélérer son rythme cardiaque, pleurer. Notre vie devient une tragédie du XXIème siècle et Phèdre de Racine, à côté, c’est les Barbapapas.
En deux secondes, une situation bascule et le commun des mortels n’en a même pas conscience.

Les angoisses ne répondent pas à la logique de « la qualité prévaut sur la quantité » mais bien du « plus on est de fous, plus on rit ». Elles sont une vingtaine à boire des godets dans mon cervelet, à toute heure du jour et de la nuit. Certaines sont des habituées, d’autres de passage. Cela serait trop simple si mon crew d’angoisse ne comptait que trois membres éminents. Mon cerveau aime la difficulté.

M. ne m’a pas répondu à mon SMS depuis trois heures alors qu’elle l’a vue. Elle doit me faire la tête. Prenons-la de vitesse, excusons-nous au plus vite. Si ça se trouve, elle ne voudra plus jamais être mon amie.
Mon mec me sourit moins et ne m’a pas pris dans ses bras depuis une heure… Il ne m’aime plus et pense à me quitter. Sa proposition d’emménager ensemble n’était que pour me faire plaisir.
Je n’ai pas été très performante à ma présentation, mon entretien annuel va être un enfer et ils vont me licencier en m’accusant d’être une incompétente.
Ma mère a répété trois fois qu’elle était fatiguée à table, elle essaye de nous dire quelque chose. Peut-être venons-nous trop souvent ou alors nous fait-elle passer un sous-entendu sur son état de santé ?
Un bouton étrange pousse sur mon aisselle gauche, comme un kyste. Ne serait-ce pas un ganglion ou une maladie inconnue ?
J’ai pris du ventre. Cela pourrait être la faute des tartines de Philadelphia et de ma consommation effrénée de Ben&Jerry’s. Mais non. Et si j’étais enceinte ? Même si j’ai utilisé un préservatif, ils ne sont pas sûrs. Rappelle toi Ross et Rachel. Tu ne peux pas t’occuper d’un enfant, maintenant, tu n’as aucun pesos de côté pour lui payer des études. Il te détestera car il ne pourra pas devenir médecin par ta faute. Il va falloir avorter. Si ça se trouve, ils vont me refuser l’IVG ou alors m’annoncer qu’il s’agit de ma seule chance d’avoir un enfant. Mais non, respire, tu as tes règles. Et si je faisais un déni de grossesse ?
Avant chaque road trip en voiture, je crains de provoquer un accident et de devoir appliquer les gestes de premier secours à mon entourage.
Mes jambes comportent un nombre effroyable de veines éclatées, n’est-ce pas le signe précurseur d’une thrombose ou d’une paraphlébite ?
A chaque fois qu’un numéro inconnu m’appelle, je me demande si ce n’est pas pour venir reconnaître le corps d’un de mes proches, entreposé dans une morgue.
L’homme dans le métro vient de tousser et de reposer sa main sur la barre… Je risque d’attraper la tuberculose ou pire, je descends à la prochaine station.
Et si un jour notre quotidien devient Walking Dead… Et si je suis obligée de tuer à mon tour, de violer, de faire régner la dictature, de torturer pour protéger les gens que j’aime ?

Mon entourage s’étonne que je ne me tourne pas vers les paradis artificiels. J’arrive à ces visions post apocalyptiques, juste en ayant enchaîné deux jours d’insomnie.

Puis, comme en plus d’être angoissée, je suis mazochiste, je décide de temps en temps d’enfoncer le clou et de regarder les informations. Histoire de stimuler un peu plus mon imagination.

Erreur, GRANDE erreur. Le journal du 20h ne vise qu’à accentuer le syndrome dépressif et paranoïaque : animaux en voie de disparition, crise économique mondiale, nouveaux virus, émeutes, guerres civiles ou nucléaires, tueurs et tueuses en série.
Traitons le mal par le mal et débutons donc 1984, Fahrenheit 451, La route, La Peste, Walking Dead ou Breaking Bad.

Au naturel, je suis quelqu’un d’extravertie et de gaie. La répartie facile et de bonne humeur. De Casimir, je passe à Calimero.
L’angoisse paralyse et ajoute une culpabilité insidieuse. Tu sais que tu te racontes n’importe quoi mais tu ne peux pas t’en empêcher. Personnellement, je me hais quand je suis comme cela et j’oscille donc entre deux attitudes : un réel pot de colle suppliant qu’on lui donne de l’amour ou le tigre enragé qui mord tout ce qui bouge.

Mes proches supportent donc ma transformation et l’ouverture des vannes à base de « aime-moiiiiiii, prends moi dans tes bras, fais-moi un chocolat chaud, ouvre les Kinder, gratte moi la tête, le dos, dis-moi que notre vie va être belle et merveilleuse« .
Ils finissent par obtempérer mais le soulagement n’est que de courte durée : mes pensées reprennent ensuite de plus belle. « Ils m’ont dit ça pour me faire plaisir, je les ai agacées, ils vont moins m’aimer » : la culpabilité me lacère le coeur à coups de cutter et je reprends le schéma 1 de l’angoisse.

Autre option : je m’isole et deviens désagréable. Je mords, suis caustique et envoie aux pelotes mon entourage. Je provoque une dispute hallucinante pour un faux pli sur une chemise ou un verre mal essuyé. Dans mon subconscient, j’imagine très bien une petite version de moi-même en peinture de guerre et mitraillette dans le dos murmurer inlassablement : « tu n’as besoin de personne dans un monde post apocalyptique, autant t’endurcir dès maintenant« . Aux commandes pendant plus de la moitié de mon existence, elle reste tapie dans l’ombre et n’attend qu’un signe de faiblesse pour ressurgir.

Heureusement, aujourd’hui, j’ai 29 ans et dès que je sens mon esprit tournebouler de la sorte, je fais reset. Je regarde un épisode de Friends, coupe mon portable, bois une tisane chaude et rejoins mon lit. Même s’il est 20h30.

3 commentaires sur “Je suis angoissée

  1. franchement, ça fait quelques articles de toi que je lis et dans lesquels je me reconnais, mais LA !!!! j’ai l’impression d’être devant mon miroir ahah.
    30 ans ici et j’arrive aussi de mieux en mieux à savoir quand toutes ces idées farfelues sont juste liées à une insomnie ou au SPM et à souffler un bon coup… mais j’ai encore du mal à accepter que le remède n’est pas dans les copains mais au contraire de tout couper et dormir ! j’y penserai la prochaine fois (demain ??)

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    1. Tout couper, dormir, partir marcher longueeeement près de chez toi aussi, écrire et j’en oublie. En tout cas, on est un grand nombre d’angoissées, c’est rassurant ❤

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