La vie d’après

Je ne mentirai pas : ma première terrasse n’a pas eu l’effet escompté. J’en avais rêvé, longuement, m’imaginant m’asseoir sur ces chaises mal rembourrées, me délecter d’une bière tiède hors de prix, des conversations insipides de mes voisins (« et tu penses que s’il n’a pas répondu à mon SMS, c’est parce qu’il est occupé, qu’il fait le mec ou qu’il s’en fout », « j’ai acheté une nouvelle machine à laver séchante et j’ai fait ma déclaration d’impôts »)…

En plus, tout Instagram s’en donnait à qui mieux mieux, avec des stories et le lieu « tous en terrasse » qui me faisaient grincer des dents. J’ai jugé, comme à mon habitude, mais cela ne m’a bien évidemment pas empêché de faire la même chose. C’est un de mes paradoxes j’imagine : je critique la superficialité des réseaux sociaux et ces derniers sont mon métier, me permettant de me ruiner chez Biocoop. Bref.

J’étais donc coincée à une terrasse sous vent et pluie, des conditions qui m’auraient poussé à répondre un non ferme et sec si on m’avait proposé cela en 2019. Vingt balles pour une mauvaise bière et choper la crève, sans façon.
J’aurai dû être joyeuse. Heureuse. Ressentir cette vive adrénaline que fut ma vie pendant des années avant ce satané Covid.
Redécouvrir le sel de la vie, la joie de claquer plus d’un SMIC par an en verres et plats de qualité passables, à rire et refaire le monde avec ceux qui me sont chers.

Et perdu. Bien qu’attablée avec une de mes plus proches amies, je n’ai ressenti qu’un sentiment de vide, me retrouvant presque oppressée par ce monde m’entourant. Trop de personnes, trop de promiscuité, trop peu de masques, trop de bruit, trop d’un coup. Submergée par la foule, moi qui apprécie tant l’énergie des retrouvailles et des rencontres. J’avais presque l’impression de faire quelque chose d’interdit, craignant qu’on vienne m’hurler dessus pour vérifier si je m’étais bien noyée les mains sous du gel hydroalcoolique.

J’ai perdu l’habitude. Je me suis forgée pendant huit mois aux soirées clandestines, à huit maximum, à jouer au tarot et au Trivial Pursuit, à être ivre dès 23 heures après deux bières. Et là, on me demande de retrouver cet élan et cette insouciance passés, de reprendre du service pour relancer l’économie.

Je n’y arrive pas. Cet entre deux me déprime plus qu’il ne me réjouit et je me sens comme une vieille dame de 90 ans dont on vient de bouger ses paquets de pâtes dans son placard. Déboussolée. Hagarde.

Sortir de chez moi ou hors des quatre murs rassurants des appartements mon entourage m’oppresse. Je me trouve d’autant plus stupide car il n’y a rien de rationnel derrière tout ça.
Je me suis juste habituée à ce confort, à ma solitude, à l’impression d’être une rebelle pré-pubère quand je fraudais le couvre-feu. A ne pas faire la bise aux gens que je n’aime pas, à serrer l’épaule discrètement de mes amis proches pour leur montrer mon affection autrement que par des mots. A m’abrutir devant Netflfix un vendredi soir, sans que la trentaine n’en soit la cause.

On nous redonne ce qui nous avait tant manqué. Alors pourquoi ai-je l’impression de n’avoir dans mes mains que du vide ou un poids si lourd et insaisissable ?

Ah 2021, quelle belle année pleine de miracles obscurs : si on m’avait dit il n’y a même pas un an que je souffrirais du syndrome de la cabane, j’aurai demandé à l’impudent si la drogue était bonne.

La vie d’après donc. Elle ne ressemblera sans doute pas tout de suite à la vie d’avant, à cette folle insouciance. Il nous faut sortir de nos coquilles et nous réhabituer à l’effervescence. A une vie urbaine qui ne ressemble pas à celle d’un village de 100 habitants. Certains sont déjà en bonne voie et je les admire secrètement, ces piliers de bars devant l’éternel, ceux qui vivent sans se poser de questions. Ils acceptent et sont déjà dans la gaité.

Je les observe et les laisse m’entraîner dans leur élan. Car la vie d’après restera avant tout l’art de la joie et nous verrons ceux qui sont les plus à mêmes de la conjuguer.


5 commentaires sur “La vie d’après

  1. Ce n’est pas tout à fait pareil et ça ne le sera plus jamais vraiment de toute façon… et la notion de réservation pour boire un verre « improvisé » ça risque un peu de gâcher la fête ! mais bon on s’adapte hein, après tout on est pas obligé de reprendre les « vieilles » habitudes !

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