
J’avais promis cet article il y a de cela quelques semaines et le tourbillon que fut ma vie m’a empêchée de m’atteler à son écriture.
Premier mensonge : j’avais juste une flemme colossale et une inspiration proche du néant.
Nous mentons tous. Parfois, avec des pics assez fulgurants. Même moi dont la passion vérité n’est plus à prouver, qui tente de dire les choses en permanence même si elles blessent, même si la personne refuse en face de les entendre, il m’arrive de m’adonner aux mythos.
Je ne vous parle pas ici des mensonges type « je me suis battue avec un tigre à mains nues », « je loue cet appartement place de l’Etoile à 300€ CC », « je suis célibataire mais l’alliance est au fond de ma poche ». Ceux-ci relèvent de la pathologie ou de la malhonnêteté et sont bien trop préjudiciables pour s’y attarder.
Je parle des autres mythos, ceux que nous usons tous, quelques fois dans la semaine voir plusieurs fois par jour. Vous pensez ne jamais pêcher ? Erreur, les amis. Erreur.
Ma théorie est que nous mentons pour nous épargner une potentielle embrouille, ne pas brusquer l’ego d’en face, nous disculper ou obtenir quelque chose d’une tierce personne.
Certains mythos sont connus et utilisés de tous : nous les reconnaissons quand nous voyons un de nos proches piocher dans la Bible du mensonge.
Il y a les mensonges dits de la flemme, ces excuses parfaites pour planter quelque chose (soirée, anniversaire, verre, restaurant).
J’ai une migraine de l’enfer (Netflix fever avec une tisane).
Ma meilleure amie s’est embrouillée avec son mec (non, elle vit toujours le parfait amour avec Bibou hélas).
J’ai une fuite d’eau de l’espace (mon lit m’appelle).
Et enfin, la meilleure de ces deux dernières années : je suis cas contact COVID. Le mytho parfait où personne n’osera vous faire culpabiliser : on vous suspectera du dit mensonge mais on vous laissera le bénéfice du doute.
De manière générale, je trouve que le monde entier crache un peu trop sur cette pandémie : le Covid, le couvre-feu et le confinement auront quand même été bien pratiques pour esquiver les gens qu’on n’avait pas envie de voir.
De mon côté, je l’avoue, au lieu d’avouer une douche tardive et l’envie furieuse de glander sur mon canapé en string, je mets tous mes retards sur le dos de la RATP. « Il y avait un colis abandonné sur la une, la huit marchait pas, il y a eu une panne de courant sur la quatre ». Ce n’est pas comme s’ils étaient irréprochables et qu’ils pouvaient venir m’accuser de mensonges.
Je repère aussi le mytho favori des radins « Il n’y avait que ça au magasin ». Quel magasin ne propose qu’un pack de Kro et des Pringles goût épinard ? Où étais-tu ?
Il y a aussi les mensonges vénaux. Ceux que nous proférons sans trop d’angoisse car nous avons un besoin vital de séduire : bienvenue dans le monde du travail et dans son bal des faux semblants…
J’adore la culture de votre entreprise (je ne la connaissais pas deux jours avant mais j’ai faim).
Je suis investie dans mon travail (surtout dans les pauses cafés et dès que je trouve quelque chose de mieux payé, je vous le dis, je m’envole).
J’adore faire des reportings sur Excel (j’éprouve sensiblement la même passion pour cette tâche que d’enlever les cheveux du siphon de ma baignoire).
Je suis tout à fait d’accord avec vous (à vrai dire, ton idée c’est de la merde mais tu es mon N+1).
« Bonjour, j’espère que vous allez bien » (un an de ma vie pour que ce mail te provoque une poussée d’herpès sur les parties génitales).
Je ne comprends pas pourquoi tous les gens démissionnent (je passe simultanément huit entretiens dont un moins payé de 5K annuel, pour me casser d’ici au plus vite).
J’ai beaucoup appris ici, dans la bienveillance la plus totale (un apprentissage réussi de l’hypocrisie dans un bocal de piranhas).
Puis, repeat. Jusqu’à la retraite.
Nous pouvons également évoquer les mensonges type bienveillants en société et en amitié qui ne servent qu’à préserver vaguement la paix sociale.
C’est ravissant cette peinture (plutôt mourir que de coller ça dans mes WC).
Ton bébé est très beau (de toute manière, on ne peut pas l’échanger).
J’adore ton mec (dis-moi que tu le largues bientôt).
C’est délicieux mais je n’ai pas très faim ce soir (une pizza Picard m’attend – l’atelier des Chefs qu’on t’a offert n’a vraiment servi à RIEN).
Ca m’a fait plaisir de te voir (les cinq premières minutes).
On se refait ça vite (dans trois ans).
J’adore ce que vous faîtes (pour un enfant de dix ans, c’est pas mal).
Magnifique la théière que tu m’as offert (elle tombera mystérieusement dans deux semaines).
Oui, elle te regrettera et reviendra j’en suis sûre (aucune chance tellement tu as été pénible).
Mais non, ça ne m’ennuie pas de t’aider pour ton déménagement (on gagne des points de karma comme on peut, je suis en négatif après mon début de semaine).
Oh c’est dingue, son apprentissage de l’alphabet (où est le couteau pour m’ouvrir les veines).
Après, tu n’offres ces mensonges qu’aux potes : la logique voudrait qu’au sang de la veine, tu puisses garder un minimum de franchise.
Les mythos sont tolérés aux amis si tu les sens en PLS et où sauter en talons aiguilles sur quelqu’un à terre relève de la cruauté. Tu leur diras la vérité plus tard quand ils seront moins vacillants sur leurs guiboles. Un coeur bat sous mon cynisme.
A propos de coeur, une de mes (nombreuses) théories est que l’on ne ment jamais autant qu’en amour. Hélas. Cela commence dès les premiers rencards, perdure tout au long de la relation et s’achève dans la rupture.
Non je n’ai plus de sentiments pour mon ex (j’y pense encore régulièrement, j’en rêve même la nuit bon sang mais là on est à un date, on va éviter de s’aventurer sur ce terrain glissant).
C’est pas toi, c’est moi (ta névrose des punaises de lit et Le Dîner de Cons, ça te parle ? Voilà).
Je ne suis pas prêt à me lancer dans une relation (avec toi).
J’ai beaucoup de travail en ce moment (je t’ai niqué, ça m’a suffi, next).
Mais non, je n’ai plus vu personne dès qu’on s’est rencontrés (y a quand même eu deux mois de flou artistique vu que c’était l’été donc j’en ai profité pour me taper des dates Tinder)
Oui, tu es le plus beau (derrière ton meilleur pote et Jesse Williams).
Tu es mon meilleur coup (avec K., c’était vraiment bien mais le QI d’une huître rendait le post-coït compliqué).
J’adore quand tu joues du piano (bof en vrai mais ça a l’air de te faire plaisir).
Tu as raison, cela fait longtemps qu’on n’a pas vu tes parents (où est le xanax).
Je te quitte car on a rien à faire ensemble (j’ai très envie de me taper L., si ce n’est pas déjà fait).
Imaginez si tout le monde disait ce qu’il pense en permanence : le monde serait à feu et à sang. Les gens nés sous le signe de la Balance se suicideraient.
A little lie never killed somebody.
En réalité, le plus important reste de dire la vérité lorsque la vie d’une personne est en danger. Peser le pour et le contre, prendre son courage à deux mains et réveiller notre proche s’il s’enferme dans une situation problématique.
Mais avant de dire la vérité aux autres, il faut aussi se regarder en face et être honnête avec soi-même. Cesser les mensonges suivants.
Oui, je l’aime toujours.
Je nage dans le bonheur.
Mon travail m’épanouit.
Notre amitié ne m’est pas toxique.
Je n’ai aucun regret.
J’ai eu raison d’agir ainsi.
Et le jour où l’on réussit ce tour de force, celui de cesser de se mentir, notre vie peut enfin commencer.