J’ai toujours été fascinée par les masques. Ceux que nous apposons sur nos visages comme des remparts entre nous et les autres. Il ne faut pas se dévoiler de suite, par méfiance ou crainte. L’on pourrait nous blesser, s’infiltrer comme du sable dans une machine bien huilée et nous empêcher ensuite de nous mouvoir, de vivre, de respirer comme avant.
Il ne faut pas que l’on pénètre l’armure. Nous enfilons des heaumes et nous observons, à travers ces meurtrières, ceux et celles qui nous font face.
Nous trichons donc. Tous et toutes un peu. Nous apposons des caractères, des expressions, des idées convenues et convenables. Les yeux et les sourires ne trompent pas mais nous arrivons quelques fois à déguiser nos émotions. A ne rien laisser transparaître et à dissimuler nos faiblesses, nos cicatrices, nos doutes sous une assurance froide.
A force de côtoyer certaines personnes, nous apprenons à tomber justement la façade. A laisser les vraies émotions surgir, sous ces masques enfilés à la va-vite ou qui sont devenus si partie prenante de notre être qu’ils en sont presque une seconde peau.
Certaines personnes font disparaître les masques avec une surprenante désinvolture, elles ne trichent pas et agissent sans arrière pensée, sans faux semblant. Ces individus me fascinent, leur spontanéité et honnêteté n’ont d’égal pour moi que leur courage. Même dans les moments difficiles, elles restent droites et entières. Fiables.
Il y a parfois de bonnes surprises : certaines personnes dont nous nous méfions révèlent un jour, sous leur masque froid et condescendant, une magnifique sensibilité. Une douce vulnérabilité. Une loyauté sidérante. Elles se révèlent et le déguisement qu’elles empruntaient depuis tant d’années ne leur rendaient pas hommage.
Et il y a les autres. Ceux dont le masque tombe bien des années plus tard, où l’on se rend compte que ce qu’on nous avait vendu pendant tout ce temps comme leur vrai visage n’était qu’un mensonge bien rodé. De très jolies qualités arborées pour l’image, le plaisir de la représentation, les conventions. Le beau rôle. Parfois, le masque se fissure au fil du temps, nous voyons des éclats et des indices mais très souvent, nous mettons ces écarts sur le dos de la fatigue. Des circonstances. De blessures non réglées. Par peur surtout de nous avouer nous être trompés. L’autre n’est pas celui que l’on pensait, à qui nous avions donné notre confiance : nous nous sommes fourvoyés.
Le masque finit par voler en éclat un jour et il ne nous reste plus qu’à observer le vrai visage de l’autre. Le nôtre également et notre incapacité à avoir su discerner l’obscurité dans ce regard, ces discussions, ces gestes.
Au final, nous ne nous connaissions pas. Et l’idée de perdre une chimère est bien plus insoutenable que de perdre quelque chose de tangible.
Mais le plus important reste que nous les avons aimés. Entièrement. Sans fioriture. Et c’est cet élan du cœur qu’il faut conserver, ce doux espoir, cette volonté de voir le beau chez l’autre. Malgré les masques. Malgré la sensation de se briser en mille morceaux ensuite.
Et n’oublions pas que nous aussi, nous avons porté des masques et trompé à notre tour.