Merci, mon ami le pangolin

Mon artichaut préféré,

Cela fait longtemps que je ne t’ai pas écrit et je m’en excuse. Ma créativité s’est étalée sur plusieurs chroniques détaillant le quotidien provoqué par ton enfant, le turbulent Covid-19. Lui comme toi n’auriez jamais soupçonné le chamboulement mondial dans lequel vous nous avez plongé.
Ces deux mois où le temps passait paradoxalement à une vitesse démentielle et si lentement, où les cartes continuaient d’être rebattues sur tous les plans, où nous avons appris à repenser nos relations, nos métiers, notre consommation. Où les gens s’étripaient pour un paquet de farine, un rouleau de PQ, un masque… Tu nous as donné à voir le plus laid de l’âme humaine par moments.

J’imagine que sur Télé Pangolin, vous deviez vous fendre la poire à nous regarder enfermés entre quatre murs, à dévaliser les rayons, à nous imaginer en train de déguster des pâtes saupoudrées de PQ Senteur des Pins. J’imagine votre stupéfaction et incrédulité face aux explications du président américain sur la nécessité de s’injecter en intraveineuse du désinfectant, sur l’affirmation de notre Porte-Parole du Gouvernement « Je ne sais pas mettre un masque ».
Ces mêmes masques disparus dans la salle sur demande d’Harry Potter pendant deux mois : Emmanuel Macron ne devait pas avoir le mot de passe.

« Sont vraiment cons, ces humains ». Tu n’as pas tort pour ne pas dire complètement raison. Et je t’ai gardé le meilleur pour la fin : le pire dans tout cela, c’est qu’ils étaient tous sobres. Et oui.
A se demander pourquoi ils ne t’imitent pas et ne se roulent pas en boule de honte.

Je n’étais déjà pas très fière de tout cela mais ce n’est rien par rapport à la honte de ce que je ressens actuellement.
Je te demande pardon.
Pardon parce qu’il reste des humains suffisamment bêtes et cupides pour occulter la leçon que tu viens de nous donner. Le braconnage a continué d’exploser selon l’ONG Wildlife Justice Communication. Plusieurs médias tirent la sonnette d’alarme et rappellent que te chasser provoquerait une autre catastrophe écologique. Si cette année n’avait pas suffi, une petite piqûre de rappel dans nos babines est à prévoir. Ne te chauffe pas trop des écailles pour le prochain round, je sais que tu peux être retors… Mais j’imagine que nous l’aurons bien mérité.

Après, regarde : tu ne fais plus partie de la liste officielle des produits de la pharmacopée traditionnelle chinoise ! La Chine, bonne élève de cette pandémie, t’a rayé de ce magnifique inventaire, qui comprenait également des pilules fabriquées à base d’excréments de chauves-souris. Pour ma part, cela m’a confirmée que tomber malade en Chine ne pouvait jamais être une option envisageable. Jamais.

Je te demande pardon également parce que nous restons, excuse-moi du mot, bêtes : tu n’as pas provoqué une prise de conscience chez tous les êtres humains de cette terre.
Les consommateurs drogués, dès la fin du confinement, ont fait la queue chez Zara ou Mac Donalds pendant des heures. Tu me diras, cela peut relancer notre économie qui s’annonce vacillante…
Mais à quel prix ? A quel prix écologique et humain ? Dans les plis de chaque tissu, sont incrustés le sang d’êtres humains exploités dans des usines et l’odeur du kérosène lâché dans le ciel pour l’importer dans nos rayons.
Chaque morceau de viande suinte la cruauté des élevages à la chaîne.
Les êtres humains continuent de consommer toujours plus avec le porte-feuille que leur tête.

Certaines personnes persistent à refuser le port du masque. « Nan mais ce n’est pas pratique » : les poumons en PLS et les hôpitaux en surchauffe, ce n’est pas pratique aussi, petit bambou. Réfléchis un peu avec ta tête. J’en vois encore des génies qui les jettent par terre et qui repoussent dédaigneusement le gel hydroalcoolique. Ils oublient, une fois de plus, la leçon donnée pendant deux mois, leur mémoire étant plus mauvaise que celle de Dorie dans Nemo.

Pourrais-tu s’il te plaît muter pour ta prochaine version et devenir juste un virus qui rend les gens moins stupides ? Tu agis sur les synapses, les neurones et bim bam boum, tous les humains peuplant cette planète deviennent a minima emphatiques, généreux et préoccupés par l’environnement. Je sais que l’on apprend mieux dans la douleur (on a tous en nous quelque chose de Sade et pas toujours de Johnny) mais cela pourrait être plus rapide, pour toi comme pour nous.

Je me permets de te proposer cela car, même si certains gouvernements s’en sont sortis plus ou moins haut la main, ce ne fut pas le cas du nôtre. J’ai eu, à plusieurs reprises, la sensation qu’il ramait un chouïa et jouait aux échecs à l’aveugle. Une partie de Sims, grandeur nature et en réalité physique. Les injonctions ressemblaient par instants à celles d’un enfant de douze ans dont je ne comprenais pas les tenants et les aboutissants. Mais bon : je me gère déjà moi-même avec difficulté, j’imagine que canaliser près de 67 millions de personnes ne relevait pas de la cure thermale.

Tu nous as donc exhibé en plein jour les failles de nos États, de nos modes de consommation, de nos relations. Le plus laid de nos âmes placardé en permanence sur BFM, CNews et Internet, avant, pendant et après ce confinement.

Mais, je l’espère du plus profond de mon être, que tu nous as aussi pointé, de ta douce patte, le plus beau.

Une solidarité omniprésente, une volonté de mieux consommer, de créer des liens tangibles, de privilégier sa créativité et ses relations plutôt qu’un bullshitjob chronophage et énergivore. Y-a-t-il vraiment le besoin de tolérer un harcèlement moral pour une faute d’orthographe dans un mail, de se ruiner la santé pour des métiers qui ne visent qu’à brasser du vent et de l’argent ?
Je souhaite que toutes ces personnes se sentent moins importantes, moins investies d’une sourde mission que personne ne peut soupçonner ni comprendre, réelles esclaves de leur ego et des conventions sociales. Qu’elles retrouvent le chemin de la légèreté et de valeurs humaines, fortes et profondes.

Je prie pour que cette ferveur, à applaudir tous les soirs à 20 heures, se transformera en soutien immuable pour le personnel soignant, sur leur place et leur importance dans la vie de chacun. Que nous avons bien plus besoin d’eux, des agriculteurs, des hôtesses et hôtes de caisse, des artistes, des enseignants que de n’importe qui d’autre. Qu’il y aura un peu plus de gratitude et que les Français, si promptes à râler, n’oublient pas de se lever aux prochaines manifestations et de défendre à leur tour ceux qui les ont protégés.

Peut-être, mon pangolin, que tu as provoqué une réelle prise de conscience sur l’écologie et une consommation plus responsable. Aussi cliché que cela puisse paraître, nous ne sommes que des invités sur cette planète et nous ne gagnerons jamais la partie. Même avec des iPhones, des réseaux sociaux, des fusils à pompes, des voitures, des tanks, des avions, de l’intelligence artificielle. Tu nous l’as rappelé dans une délicate révérence : hôtes mais non propriétaires.
Une révélation violente, donnée par un dindon vêtu d’écailles, mais qui n’en sera que plus belle et impactante. 2020, année du pangolin. 2021, année des citoyens ?

Il y aura toujours (hélas) des personnes pour rester dans un obscurantisme, une fermeture d’esprit, un déni d’émotions et de la réalité des plus saisissants. Il est plus simple de se construire dans l’ombre : la lumière effraie et paraît plus difficile d’accès.

Je l’étais déjà avant mais tu me l’as confirmé. Je choisis la joie. Je choisis la cohésion humaine (mais avec masque, promis), l’entraide, l’amour, la bienveillance, la liberté.

Merci pour la leçon, merci pour la lumière.

Votre commentaire

Entrez vos coordonnées ci-dessous ou cliquez sur une icône pour vous connecter:

Logo WordPress.com

Vous commentez à l’aide de votre compte WordPress.com. Déconnexion /  Changer )

Photo Facebook

Vous commentez à l’aide de votre compte Facebook. Déconnexion /  Changer )

Connexion à %s